Employeurs : vous êtes condamnés à renforcer le suivi de la charge de travail de vos salariés

20 juin 2019

D’après une étude menée par la DARES, 40% des salariés estiment que leur charge de travail est excessive*.

Devançant la publication de cette étude, la Cour de cassation a rendu plusieurs décisions imposant aux employeurs un contrôle renforcé de la charge de travail de leurs salariés.

La Cour de Justice de l’Union Européenne rappelle également dans une décision du 14 mai 2019 (C-55/18) que l’employeur doit disposer d’un système objectif, fiable et accessible de contrôle de la durée du travail journalier de chaque salarié, afin de veiller aux durées maximales de travail et minimales de repos.

L’employeur ne peut donc plus se contenter de respecter les dispositions du Code du travail (et notamment de l’article D. 3171-8) en opérant un suivi individuel du temps de travail. Désormais, les juges sanctionnent également l’absence ou l’insuffisance de contrôle de la charge de travail.

1. Salariés à l’heure : attention au risque d’heures supplémentaires !

Par principe, lorsqu’un salarié travaille au-delà de la durée de travail prévue à son contrat, les heures ainsi effectuées peuvent être qualifiées d’heures supplémentaires. Il est jugé depuis longtemps que lorsque ces heures ont été réalisées avec l’accord au moins implicite de l’employeur, elles ouvrent droit au paiement d’une contrepartie en argent et/ou en repos.

Cependant, une question restait en suspens : qu’en est-il lorsque l’employeur interdit expressément la réalisation d’heures supplémentaires – ou soumet cette réalisation à une autorisation préalable – mais que le salarié réalise quand même de telles heures ?

Dans deux arrêts rendus par la Cour de cassation le 14 novembre 2018 (n°17-16.959 et 17-20.659), les juges répondent à cette question en précisant que dès lors qu’un salarié a été contraint de réaliser des heures supplémentaires en raison de sa charge de travail, ces heures doivent donner lieu à contrepartie.

Aussi, l’employeur peut être condamné à rémunérer des heures supplémentaires dans deux hypothèses :

  • Lorsque des heures supplémentaires ont été réalisées à sa demande ou avec son autorisation expresse ou implicite ;

  • Lorsque des heures supplémentaires ont été rendues nécessaires en raison de la nature ou de la quantité des tâches confiées au salarié, peu importe que l’employeur ait autorisé ou se soit opposé à la réalisation de telles heures.

En d’autres termes, si le salarié démontre que les heures supplémentaires qu’il a effectuées de sa propre initiative et sans autorisation de l’employeur, étaient rendues nécessaires par sa charge de travail, l’employeur devra les lui rémunérer.

En pratique et pour limiter le risque il convient notamment de : Suivre le temps de travail : une heure supplémentaire non déclarée est une heure supplémentaire plus difficile à prouver pour le salarié ;

  • Suivre le temps de travail : une heure supplémentaire non déclarée est une heure supplémentaire plus difficile à prouver pour le salarié ;

  • Veiller à la charge de travail : faute de variation d’activité, les heures supplémentaires exceptionnelles sont plus difficiles à prouver et justifier pour le salarié ;

  • Identifier les salariés dont la charge de travail serait nettement supérieure aux autres et rééquilibrer la charge de travail :
    • Une charge de travail exceptionnelle permet au salarié de justifier l’existence d’heures supplémentaires exceptionnelles ;
    • Une charge de travail moins élevée, ou régulée dans l’équipe, permet à l’employeur de prouver l’absence de nécessité des heures supplémentaires dont le paiement est demandé ;

  • Rémunérer les heures supplémentaires au fur et à mesure de leur déclaration : des heures supplémentaires rémunérées régulièrement permettent à l’employeur de démontrer sa bonne foi et son absence de volonté de faire obstacle au paiement d’heures supplémentaires. En cas de dépassement excessif de la durée de travail prévue au contrat, réorganiser la charge et demander au salarié de respecter ses horaires contractuels de travail.

Nous restons à votre disposition pour vous aider à mettre en place ou actualiser vos méthodes, procédures et outils de suivi du temps et de la charge de travail.

2. Salariés en forfait-jours : attention au risque de remise en cause de la convention de forfait !

La Cour de cassation contraint également les employeurs à veiller à la charge de travail des salariés au forfait-jours.

En effet, la conclusion d’une convention de forfait ne permet pas de s’exonérer de tout suivi de l’activité de ses salariés, bien au contraire. La Cour de cassation énonce de longue date que l’employeur reste tenu de veiller – notamment dans le cadre des entretiens annuels – à la charge de travail, mais également à l’équilibre entre la vie privée et la vie professionnelle, dans le respect des dispositions légales et conventionnelles.

Dans une décision du 19 décembre 2018 (n°17-18.225), la Cour de cassation énonce qu’il appartient à l’employeur de prouver qu’il a respecté ses obligations de contrôle de la charge de travail.

Selon la Cour, si l’employeur n’est pas en mesure de prouver qu’il a respecté ses obligations légales et conventionnelles de suivi, la convention de forfait en jours est privée d’effet, et le salarié est en droit de solliciter le règlement de ses heures supplémentaires.

En pratique et pour limiter les risques il convient notamment de :

  • Veiller de manière régulière à la charge de travail des salariés notamment dans le respect des dispositions conventionnelles en la matière ;

  • Garder une preuve de ce contrôle, tel qu’un compte-rendu d’entretien comportant la signature du salarié.

Synthèse :

Ces décisions récentes démontrent que la question de la durée du travail est plus que jamais d’actualité.

Pour rappel, la Loi Avenir Professionnel promulguée le 10 août dernier traitait déjà de la question du suivi du temps de travail et doublait le plafond de l’amende administrative encourue en cas de non-respect des dispositions relatives au temps de travail. Ces amendes s’élèvent désormais à 4.000 euros en cas de première infraction et 8.000 euros en cas de récidive dans les deux ans (voir notre article sur le sujet ici).

Par ailleurs, du fait de la réduction des cotisations salariales sur les heures supplémentaires, l’URSSAF est également désormais autorisée à contrôler les documents relatifs au suivi du temps de travail dont la tenue est imposée par le Code du travail. A défaut de document de suivi du temps de travail – et donc de justification des heures supplémentaires – les réductions de cotisations pourraient être annulées.

Devant le Conseil de Prud’hommes, le rappel d’heures supplémentaires est un moyen pour le salarié licencié de venir compenser la baisse des indemnités auxquelles il peut prétendre depuis les Ordonnances Macron. Nous constatons une augmentation des demandes sur ce fondement dans les contentieux qui nous sont confiés.

La question du temps de travail étant omniprésente dans le cadre des contentieux prud’homaux et les DIRECCTE s’étant très vite approprié les nouvelles sanctions administratives mises à leur disposition, le sujet du temps de travail ne doit pas être négligé.

*Rapport de la Direction de l’Animation, de la Recherche et des Etudes Statistiques du 18 février 2019 sur les contraintes physiques et l’intensité du travail (consultable ici).

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